I. L’origine et le développement du Chant
Byzantin
Le chant byzantin est le chant liturgique traditionnel de l’Église orthodoxe en langue
grecque. Le répertoire en usage a été, au cours de l’histoire, adapté aux
diverses langues des peuples orthodoxes, conduisant ainsi au développement de
traditions parallèles. Cette tendance à l’adaptation se confirme de nos jours
avec le développement de l’Orthodoxie dans le monde entier.
L’origine du chant byzantin remonte aux premiers siècles de l’ère chrétienne,
dans la partie orientale de l’Empire Romain; mais c’est surtout à partir de
l’Édit de Milan (313 ap. J.C.) quand l’Église est sortie des catacombes, que le
chant liturgique commença à se développer. Le nombre des fidèles augmentant, le
chant devait alors tenir une place plus importante dans les célébrations et
s’est enrichi au fil des siècles de nouvelles hymnes et de nouvelles mélodies
plus ornées, conduisant au développement d’une hymnographie et d’une tradition
de chant sacré du plus haut niveau, transmise de génération en génération
jusqu’à nos jours. Le chant byzantin est un patrimoine de portée universelle
encore peu connu en dehors de sa sphère d’influence directe.
Ses premiers hymnographes furent parmi les saints hiérarques de l’Église,
théologiens et poètes mystiques. Ils écrivaient en grec - langue de culture de
l’époque.
Le système tonal du chant byzantin s’est développé surtout entre les 4e et 8e siècles,
en utilisant la théorie musicale de la Grèce antique - théorie qui avait
atteint un niveau inégalé dans l’histoire. C’est à Saint Jean Damascène qu’est
attribué le rôle de l’organisation des 8 tons (Octoèque), et c’est lui qui a
mis de l’ordre dans le foisonnement de divers types de chant liturgique en en
éliminant les éléments trop mondains et incompatibles avec le service
religieux.
Par la suite la création musicale s’est trouvée
soumise à des « canons » (règles) stricts. Les compositeurs
puisaient dans un réservoir de formules musicales préexistantes, et les
enrichissaient à leur tour. C’était donc une création collective qui a suivi
une évolution très lente, par étapes successives. Cette pratique de création
est restée vivante jusqu’à nos jours, en Grèce et aussi à Constantinople et en
Asie Mineure.
Plusieurs types de notations musicales se sont
succédés aux cours des siècles jusqu’à la notation neumatique en usage
aujourd’hui. Toutefois, l’écriture musicale n’a qu’une fonction d’aide-mémoire;
le rôle de la transmission orale reste fondamental.
Les caractéristiques du Chant
Byzantin :
- sans
accompagnement d’instrument ( chant « a capella »);
- monodique (à une seule voix);
- il peut être accompagné toutefois par le chant d’une
note tenue ou bourdon (appelé « isson ») qui correspond d’une
certaine façon au fond d’or des icônes - symbole d’éternité;
- il utilise des gammes héritées de la théorie
musicale de la Grèce antique, reposant sur d’autres intervalles que ceux de la
gamme tempérée en usage dans la musique occidentale actuelle
- il a été transmis oralement et sans interruption
depuis ses origines;
- il recourt aux partitions en notation neumatique, constituées
de signes globalisant la hauteur musicale relative (montée ou descente),
l’énergie de l’émission et l’ornementation vocales;
- il utilise un réservoir de formules - petites
phrases ou cellules musicales - selon les divers types de chant, assemblées
comme par une technique de mosaïque, pour former des mélodies selon les 8 modes
(appelés aussi tons);
- une grande liberté est laissée à l’interprète pour
improviser et orner les mélodies;
- c’est le texte qui génère directement l’énergie et
le rythme du chant, mais la pulsation de base reste invariable et extrêmement
rigoureuse;
- l’émission vocale est franche et remplie de vigueur;
- la conception
du chant choral est particulière : c’est le chantre principal qui
conduit par sa voix plutôt que par ses gestes et les choristes doivent le
suivre en se fondant dans son chant.
II. L’adaptation du Chant
Byzantin dans d’autres langues,
conduisant à la création de
nouvelles traditions.
(solidaires
du tronc commun grec, ou au contraire,
transformées en diverses traditions originales,
de type
populaire et nationale.)
Nous allons passer en revue les différentes langues
auxquelles le chant byzantin a été adapté au cours des siècles.
1. Le slavon
Le chant byzantin s’est d’abord développé dans la
partie orientale de l’Empire Romain où la langue grecque était d’usage
universel à cette époque.
Avec la conversion au christianisme des peuples slaves
dès la fin du 9e siècle, il fut entrepris la traduction des textes liturgiques
en slavon.
De ce fait, il a fallu adapter les mélodies byzantines
à cette nouvelle langue liturgique. Ainsi, à partir du chant byzantin grec, se
sont développées de grandes traditions slaves de chant liturgique, notamment en
Bulgarie, en Russie, en Ukraine et en Serbie. Les traditions de chant byzantin
bulgare et serbe sont restées proches de l’original (leur similitude avec la
pratique grecque de nos jours est très frappante); tandis qu’en Russie et en
Ukraine le chant liturgique a pris peu à peu une nouvelle tournure, adapté au
génie musical propre de ces pays, et transformé par d’importants apports venant
de la musique occidentale, et ce dès le
17e siècle.
2. Le Roumain
Pendant plusieurs siècles, la seule langue
d’adaptation du chant byzantin fut le slavon. Ainsi, même dans les territoires
de la Valachie et de la Moldavie, c’est le slavon qui prédominait (à côté du
grec) comme langue liturgique, dès le 14e siècle et jusqu’a la fin du 17e
siècle. Ce n’est qu’au début du 18e siècle que la langue roumaine a remplacé le slavon, son emploi est donc relativement
récent dans la célébration liturgique.
En Moldavie et
en Valachie en particulier, qui se trouvent en la partie sud et est de la
Roumanie actuelle, il existe aujourd’hui une tradition de chant byzantin en
roumain très proche de la pratique grecque actuelle (alors que dans les régions
de l’ouest, en Transylvanie et en Banat, le génie propre du lieu a conduit à un
chant de type plus populaire ou d’influence occidentale, s’écartant beaucoup du
chant original byzantin).
Transcription des
partitions de chant byzantin en notation occidentale :
Dès la fin du 19e siècle, mais surtout à partir de la
2e partie du 20e siècle, en Roumanie, en Bulgarie, en Serbie et même en Grèce,
des musicologues ont entrepris la transcription des mélodies byzantines en
notation occidentale sur des portées. Auparavant, dans tous ces pays, des
partitions en notation traditionnelle byzantine ont été développées. Cependant,
la transmission étant essentiellement orale (la partition n’ayant qu’une
fonction d’aide-mémoire...) l’exécution du chant byzantin est restée fidèle à
l’ancienne pratique; (il est fréquent que les chantres ne suivent pas « à la lettre » la partition mais
chantent selon la transmission orale).
3. L’arabe
Avant la conquête de l’islam, les arabes chrétiens
orthodoxes ont célébré leur liturgie en grec, langue de l’Église et de la
culture dans leur pays. Après la conquète islamique,la langue arabe commença à
entrer progressivement dans les célébrations à côté du grec. Cependant, pour le
chant liturgique, des difficultés ont persisté pendant de longs siècles. En
effet, l’arabe s’écrivant de droite à gauche contrairement à l’écriture
musicale byzantine, il ne fut pas élaboré de partitions écrites des mélodies
byzantines adaptées en arabe. La solution consistait soit à garder la pratique
en grec, soit à improviser les chants en arabe, en suivant les mélodies
byzantines. Ce n’est qu’à partir du début du 20e siècle qu’on réussit à créer
des partitions des adaptations en arabe, d’abord écrites à la main puis
imprimées depuis 1955.
Aujourd’hui la pratique du chant byzantin s’est
généralisée dans les églises orthodoxes arabophones dépendantes du patriarcat
d’Antioche ainsi que dans d’autres patriarcat d’orient (en gardant toutefois la
pratique du chant grec occasionnellement).
Pour ces adaptations en arabe, le problème de la
transcription en notation occidentale ne s’est pas posé car la culture musicale
ambiante est majoritairement orientale. La manière d’exécuter ces chants
cependant varie d’un endroit à l’autre, du style purement byzantin à un style
beaucoup plus « arabisé ».
4. Le français.
A la fin du 20e siècle, la création en France de
monastères orthodoxes de tradition grecque mais de langue française a tout
naturellement nécessité l’adaptation des mélodies byzantines au français. C’est
surtout au Monastère Saint-Antoine-le-Grand dans le Dauphiné (créé en 1978) que
ce travail a été entrepris, ainsi que par les Sœurs du Monastère de Solan dans
le Gard. Ce travail se réalise en collaboration avec un groupe de musicologues,
de traducteurs et d’interprètes. Les partitions sont élaborées en double
notation byzantine et occidentale.
Dans d’autres
endroits en France ainsi que dans plusieurs pays francophones, des groupes de
musicologues et d’interprètes du chant byzantin se réunissent également pour
élaborer des adaptations. Ces approches contribuent au développement du chant
byzantin dans tous les pays francophones où l’Orthodoxie en langue française
est présente (par exemple, en dehors de la France : au Canada, en Belgique, en
Suisse; en Afrique : au Cameroun, au Congo, à Madagascar etc.). Aussi, la
demande est-elle de plus en plus grande pour des partitions de mélodies
byzantines adaptées au français.
5. L’anglais et d’autres langues.
Le travail d’adaptation du chant byzantin se
développe en d’autres langues partout dans le monde, suivant l’implantation
grandissante de l’Orthodoxie. En dehors de l’anglais, c’est l’allemand, le
néerlandais, le hongrois, l’ukrainien, le finlandais, l’albanais, le coréen,
les dialectes de l’Indonésie etc.; on retrouve partout la même préoccupation de
créer tout un répertoire de chant liturgique de type byzantin en langue
autochtone.
C’est surtout en Angleterre et en Amérique que
beaucoup de partitions sont déjà réalisées, en double notation. L’avantage de
l’anglais est bien sûr son usage universel à notre époque. Mais les différents
dialectes des minorités comme le créole en Martinique ou les dialectes malgaches
de Madagascar ainsi que le provençal ou le breton en France sollicitent aussi
la création de nouvelles adaptations de chant byzantin.
Chanter des hymnes divines dans
sa propre langue est un désir
pour tous les chrétiens, pour que
la Parole soit « tout près
de vous ».
***
L’adaptation du chant byzantin
dans toutes ces
nouvelles langues est toujours
une création.
Pour remplir pleinement son rôle, elle doit tenir
compte :
- et de la pratique traditionnelle des grecs, pour
bénéficier de la force vivifiante des racines des origines,
- et de l’expérience des pays de tradition orthodoxe
qui ont déjà réussi cette transplantation,
- et du caractère propre de la langue d’adaptation.
C’est à ce prix que le texte sacré gardera sa
primauté, car
« la musique doit rester
serviteur fidèle de la Parole ».
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